Mais comment marche ce Rubik's Cube à 27 ?

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Il est bien difficile de prévoir l'issue du Conseil européen qui s'est ouvert le 21 juin. A cause des Polonais qui bloquent tout, certes, mais aussi des Britannniques et des Français, qui n'ont pas l'air de savoir ce qu'ils veulent. Pour mieux comprendre ce qui se joue à Bruxelles, The Independent propose son petit mode d'emploi.


C'est extrêmement simple : les Britanniques s'opposent à ce qu'ils ont déjà accepté ; les Français sont impatients d'accepter ce qu'ils ont déjà rejeté. Et puis il y a les Polonais. Les Polonais s'opposent à tout ce que les Allemands pourraient accepter. Or les Allemands sont les organisateurs du sommet, ce qui va probablement rendre les choses difficiles. Et ô combien intéressantes.

Les Polonais sont particulièrement fâchés de n'être que 38 millions alors que le nombre d'Allemands est démesuré (82 millions). Tout cela, affirme le Premier ministre polonais Jaroslaw Kaczynski, c'est la faute des Allemands, qui ont ravagé la Pologne il y a soixante-dix ans. L'argument vaut ce qu'il vaut. L'Union européenne est pourtant censée s'occuper de l'avenir de l'Europe, pas de son passé. La Seconde Guerre mondiale sert généralement d'argument en faveur de la collaboration entre Européens. Le gouvernement polonais est le premier à y recourir pour se brouiller. Chapeau, les Polonais. Trouver un nouvel argument à Bruxelles n'est pas chose facile. Pour preuve, cela fait trente-quatre ans que la Grande-Bretagne recycle les mêmes.

Le sommet européen de deux ou trois jours qui s'est ouvert hier à Bruxelles est censé aboutir à un accord permettant aux Européens de s'accorder autrement et mieux. En d'autres termes, les 27 gouvernements se chicanent pour savoir comment éviter de se chicaner. La dernière fois que j'ai couvert un sommet européen, il y a près de vingt ans, il n'y avait que douze Etats membres. C'était déjà assez compliqué. Un Rubik's Cube à douze carrés n'a jamais été facile à résoudre, surtout lorsqu'un de ces carrés est la Grande-Bretagne. Aujourd'hui, l'Union européenne est un Rubik's Cube à 27 carrés. Le nombre de carrés récalcitrants (ceux qui finissent toujours du mauvais côté du cube) a augmenté. Et la Pologne semble résolue à devenir une sorte de "Grande-Bretagne de l'Est".

Même les Français et les Hollandais, membres fondateurs de la vieille CEE, étaient entrés dans le club des insoumis il y a deux ans. Leurs peuples avaient rejeté la première tentative faite pour faciliter les accords entre Européens. Paris et La Haye sont aujourd'hui globalement contents de donner leur accord à la seconde tentative sans demander une seconde fois leur avis à leurs peuples. Si les Français ont rejeté le projet de traité constitutionnel, c'est essentiellement parce qu'il reprenait les vieux traités remontant à 1957. Ils n'avaient aucune véritable objection aux nouveautés. Or les vieilleries ont été écartées du nouveau texte (même si elles existent encore).

Tony Blair, de son côté, ne peut plus accepter ce qu'il pouvait accepter il y a deux ans. Il doit rentrer à Londres avec un texte qui semble différent de l'ancien. Dans le cas contraire, Gordon Brown risque d'avoir du mal à expliquer au Sun et au Daily Mail pourquoi il n'y aura pas de référendum en Grande-Bretagne. Il y a deux ans, le gouvernement de Tony Blair déclarait que la Constitution était "bonne pour la Grande-Bretagne". Aujourd'hui, Blair soutient qu'elle renferme quatre ou cinq graves menaces pour le British Way of life – par exemple, la perspective pour l'UE de se doter d'un ministre des Affaires étrangères au lieu de deux, ou d'inscrire une charte des droits sociaux fondamentaux qui existe quasiment déjà chez nous.
A Bruxelles, beaucoup de responsables ont le sentiment que la plupart des "lignes rouges" de Tony Blair peuvent se résoudre aisément par des clauses dérogatoires. En d'autres termes, ce ne sont que des boucs émissaires, parfaits pour être désignés à la vindicte publique.

Le gouvernement polonais a un argument plus solide pour justifier son désaccord avec lui-même. C'était un précédent gouvernement polonais qui avait accepté l'ancien texte. Le président polonais Lech Kaczynski et son Premier ministre, qui est son jumeau parfait, s'opposent aux nouvelles règles de vote des gouvernements de l'UE. Jaroslaw n'est pas venu à Bruxelles ; c'est son frère Lech, plus sympa, qui a fait le déplacement. Ce qu'on interprète comme un signe de la volonté des Polonais de se montrer conciliants. Mais comment être sûr qu'il s'agit bien de Lech, et non de Jaroslaw ? L'un des deux a un grain de beauté sur le visage. Mais lequel des deux est le Polonais au poireau ? Et voilà comment fut décidé le sort de l'Europe…

John Lichfield
The Independent
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