DEUX BIOGRAPHIES DE SARKOZY

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DEUX BIOGRAPHIES DE SARKOZY

- Catherine Nay, Un pouvoir nommé désir, Grasset

 
- Bruno Jeudy, Ludovic Vigogne, Nicolas Sarkozy, De Neuilly à l’Elysée, L’Archipel


 

Des dizaines de livres sont parus sur Nicolas Sarkozy, avant même qu’il soit élu en mai 2007. Nous avons choisi ces deux livres un peu au hasard, n’ayant le goût ni l’habitude de lire des bios de politiciens réactionnaires. Nay est « éditorialiste à Europe n° 1 », Jeudy est journaliste au Figaro, et Vigogne travaille au Parisien, tous deux « suivent Nicolas Sarkozy depuis plusieurs années », nous dit la quatrième de couverture.

 

Quel que soit leur statut, la première chose qui frappe lorsqu’on lit ces deux ouvrages, c’est que nos trois compères n’ont guère de distance vis-à-vis de leur sujet. Plus crûment, on a l’impression que Sarkozy leur a dicté l’essentiel des « analyses » contenues dans leurs livres, tant ils sont acritiques. Catherine Nay nous dépeint le portrait d’une Cosette (la mère de Sarkozy), mère avocate élevant seule ses quatre enfants, vivant dans les quartiers bourgeois du XVIIe puis ayant les moyens de se payer un appartement à Neuilly ; quant à Vigogne et Jeudy, ils ne font pas un grand effort dans une première partie pour nous apporter un éclairage nouveau ou original sur la vie de Sarkozy et ils puisent dans les livres écrits par d’autres collègues complaisants ; quant à la seconde moitié de leur livre, loin d’être une biographie, il s’agit en fait d’un journal de campagne, rempli d’anecdotes le plus souvent assez triviales, même si tout de même on arrive quand même à récupérer quelques anecdotes significatives sur l’hypocrisie de Sarkozy, notamment le contraste entre ses déclarations publiques sur « l’amour » et le perpétuel « J’ai changé », « J’ai appris à écouter les gens », etc., et les engueulades et les insultes qu’il adresse à des responsables flics de la Seine-Saint-Denis après la publication du rapport du préfet démontrant que son ministre mentait en ce qui concerne la baisse de la délinquance dans ce département. Une fois que l’on a fermé ces deux livres, on se dit que l’entreprise de décervelage des lecteurs est bien enclenchée, si ces derniers ne cherchent pas à creuser au-delà du rideau de fumée lancé par Sarkozy et les écrivaillons béats d’admiration devant son « volontarisme », sa « sensibilité », etc. Que peut-on malgré tout retenir de ces deux ouvrages qui soit utile à des militants ?

 

Sarkozy a eu la fibre gaulliste et anti « communiste » très jeune ; en clair, à 52 piges c’est déjà un vieux réac ; il a gravi un par un les échelons du parti gaulliste jusqu’à en prendre la tête, il a su s’entourer d’amis à gauche (Jacques Attali) comme à droite (Peretti, maire de Neuilly ; Balladur ; Pasqua, l’homme des Services d’Action civique, de la Françafrique, des barbouzes, des trafics d’armes et de la corruption dans les Hauts-de-Seine), qui l’ont considérablement aidé dans son ascension vers le pouvoir. On apprend, au cas où on l’aurait oublié, que ni le mot « Karcher », ni même le terme de « racaille » n’ont été utilisés la première fois par lui. Le mot Karcher a été utilisé par l’un des membres de la famille d’un enfant de 11 ans Sidi Mohammed Hammache mort d’une balle perdue lors d’un affrontement entre deux bandes locales dans la Cité des 4000 à La Courneuve. « Monsieur le ministre il faut nettoyer la cité au Karcher », a déclaré l’un des parents de la victime. Et Sarkozy de répondre du tac au tac : « Vous avez raison, il faut nettoyer la cité au Karcher ». Sarkozy a fait preuve d’une double et terrible habileté : il a su reprendre les mots d’un travailleur anonyme et utiliser à fond le registre émotionnel pour en tirer des bénéfices politiques. A la sortie de l’immeuble, le même soir, lorsqu’une mère de famille maghrébine lui dit : « On veut sortir d’ici, on est français. On veut que nos enfants vivent comme des Français », le ministre de l’Intérieur lui lance : « Les voyous vont disparaître, je mettrai les effectifs qu’il faut, mais on nettoiera la cité des 4000. » On voit là encore que ce sont des travailleurs, franco-maghrébins ou maghrébins de surcroît, qui donnent à Sarkozy l’occasion d’enrichir son vocabulaire pour après le recycler au service de sa politique répressive. En ce qui concerne le mot de « racaille », il a été employé par un habitant lors d’une visite mouvementée de Sarkozy d’une esplanade, surnommée la « dalle d’Argenteuil » en juin 2005, plusieurs mois donc avant les émeutes de novembre. Une femme d’origine maghrébine l’interpelle depuis sa fenêtre « Il faut débarrasser le quartier de cette racaille » car le ministre de l’Intérieur est accueilli par une pluie de projectiles et Sarko de répondre illico démago : « Nous allons vous débarrasser de cette racaille. » Idem aussi pour « la France qui se lève tôt ». Des jeunes ouvriers d’une usine de traitement de poissons lui font remarquer gentiment : « Nous, on a des salaires de misère, et pourtant on se lève tôt », et l’expression sera reprise allégrement par la droite. Reprendre les mots de l’autre peut plomber un homme politique et, le moins qu’on puisse dire, c’est que cela n’a pas été le cas de Sarkozy.

 

L’habileté de Sarkozy a été de reprendre ces mots « du peuple » à son compte et de les marteler dans ses discours jusqu’à leur donner une légitimité, grâce évidemment au soutien des médias (Jeudy et Vigogne racontent que les ventes des magazines augmentent de 30 à 40 % quand la gueule de Sarkozy figure en couverture). On apprend aussi dans ces deux ouvrages que Sarkozy pratique les visites d’usines, d’hôpitaux, de commissariats ou de petites fermes depuis des années. Il a inauguré cette technique bien avant 2007. « Pendant des années je n’ai fait que de la politique. Je veux humaniser mes discours grâce à des expériences vécues », confie-t-il après une visite en 2001, à l’hôpital Saint-Antoine, au service des urgences où il fait semblant d’écouter les « doléances des infirmières, des urgentistes et des patients qui attendent sur des brancards ». Ce labourage du terrain lui a permis non seulement d’ « écouter » les petits salariés, les petits paysans, les ménagères, mais de chercher à adopter un langage qui soit compris de « ceux qui souffrent », comme nous le serinent cyniquement tous les politiciens UMP depuis quelques mois. Ou de découvrir « la France des oubliés, des pauvres, des plus modestes ». Sarko a en partie réussi à se débarrasser de son image de technocrate, très « libéral », ami des patrons, qui lui collait à la peau. Pendant la campagne présidentielle, affirmait-il, « dans tous mes déplacements je veux aller dans les usines ». Il faudrait vérifier mais on peut se demander s’il ne s’est pas plus souvent rendu dans les entreprises que la candidate « socialiste »... En cela, Sarkozy, loin de copier les recettes de la droite américaine comme l’affirment faussement Serge Halimi et Le Monde diplomatique, Sarkozy donc n’a fait que revenir aux vieux thèmes de la droite depuis le XIXe siècle : la sanctification de l’effort, la dénonciation des paresseux, les louanges adressées à ceux qui se lèvent tôt, le patriotisme, le retour du respect pour les profs et leur autorité, le patriotisme, etc. Ses références à Blum ou Jaurès n’ont choqué que ceux qui ont oublié que la SFIO, le parti de ces deux dirigeants socialistes, gouverna avec De Gaulle au sortir de la Résistance en obligeant les ouvriers à marner ; ses louanges adressées à Guy Moquet n’ont choqué que ceux qui ignorent que le PCF collabora activement avec la Résistance gaulliste puis contribua à l’arrivée et au maintien du général de Gaulle au pouvoir en 1945-1947, à l’époque où Thorez proclamait : « La grève est l’arme des trusts ».

 

Catherine Nay nous apprend que la haine de Sarkozy contre Mai 68 remonte à très loin, puisqu’à l’époque il se serait « fait tabasser par des gauchistes » à Nanterre où il aurait pris la parole dans une AG en prenant position contre la grève et qu’il aurait été interdit de cours par les mêmes gauchistes pendant six mois. On a du mal à le croire, mais après tout peu importe, ce qui compte dans l’anecdote (qu’elle soit réelle, totalement inventée, ou arrivée à l’un de ses proches) est qu’elle nous explique en quoi sa volonté de « liquider l’héritage de Mai 68 » a des origines anciennes, bien antérieures au retournement des médias et d’une partie de l’intelligentsia de gauche contre « la pensée 68 » ou les « soixante-huitards ».

 

Catherine Nay nous dépeint un bonhomme méticuleux, bosseur, arriviste, très exigeant voire méprisant vis-à-vis de ses proches collaborateurs, court-circuitant toujours les hiérarchies ou les protocoles pour mieux arriver à ses fins :

 

-  c’est ainsi qu’il utilise les réseaux du socialiste Julien Dray en 1993 lors du mouvement contre le CIP de Balladur, un SMIC jeunes précurseur du CPE ;
-  qu’il menace de contrôles fiscaux les ministres ou députés de droite qui s’opposent à lui quand il est ministre du Budget ;
-  qu’il demande des conseils à Jack Lang lorsque le ministre de l’Education nationale Luc Ferry est en difficulté - le même Lang qui déclare complaisamment après la fermeture de centre de Sangatte « Ah si nous avions seulement fait 10 % de ce que vous avez fait là » (alors que les sans papiers continuent à errer dans les bois) ;
-  ou qu’il demande aux responsables du syndicat UNSA Police des informations sur le représentant de l’UNSA Education qu’il doit rencontrer à la même époque ;
-  il prend directement contact avec Frédéric Imbrecht, le leader de la CGT Energie lors du changement de statut EDF ;
-   il prend contact directement avec les syndicats pendant le mouvement du CPE, à la fois pour court-circuiter Villepin, mais aussi parce qu’il n’est pas très chaud pour le CPE, ou plus exactement sur la façon de l’imposer. Il appelle personnellement Thibault, Mailly, Chérèque et comme il n’arrive pas à avoir le numéro de téléphone du dirigeant de la CGC il n’hésite à faire déplacer un motard au domicile de ce dernier pour le lui demander.

 

Toutes ces petites anecdotes sont certes significatives sur son caractère de touche-à-tout hyperactif qui ne peut désormais que renforcer la présidentialisation du régime, puisqu’il dirige désormais la République. Mais elles sont surtout importantes d’un point de vue politique. Elles montrent que loin d’être un fasciste, ou un apprenti Pétain, Sarkozy a toujours eu des amitiés et même des réseaux à gauche et chez les syndicalistes. Autre aspect du personnage, qui le différencie de beaucoup de politiciens qui n’ont qu’une seule mangeoire pour vivre en parasites. Sarkozy se garde toujours une deuxième épée au feu : il est avocat d’affaires et a des parts dans le même cabinet depuis 1987, investissement qui lui rapporte une coquette somme chaque année.

 

C’est son travail d’avocat qui lui a d’ailleurs permis de rencontrer des grands patrons comme Lagardère, Bouygues, Dassault et Arnault.

 

Les deux ouvrages nous apprennent qu’en tant qu’élu local, Sarkozy a appliqué à Neuilly les mêmes techniques que Chirac en Corrèze : visiter chaque samedi la ville à pied, assister à toutes les réunions annuelles des associations, aux fêtes des écoles, aux banquets des pompiers, écrire des lettres manuscrites à ses administrés, etc. Mais en dehors du « petit peuple » (pas très nombreux dans sa ville...) il a su aussi se tisser un large réseau parmi les artistes, les gens du showbizz, les journalistes et bien sûr les grands patrons : Laurence Parisot le connaît depuis l’époque où elle était patronne de l’IFOP et est maintenant la dirigeante du MEDEF ; Bernard Arnault et Martin Bouygues seront ses témoins de mariage ; Bouygues lui prêtera déjà un yacht en août 2005 pour qu’il se remette de sa crise conjugale ; et il considère Arnaud Lagardère comme son « frère ». Ces techniques de travail de terrain à Neuilly, il les a appliquées à la fois pour conquérir l’appareil de l’UMP (en allant visiter beaucoup de fédérations aux quatre coins de l’Hexagone ; garder à l’esprit que lorsque Sarkozy prend une semaine de vacances il trouve le temps d’appeler 85 parlementaires de l’UMP), mais aussi pour obtenir le soutien inconditionnel de toutes les catégories de flics, pendant ses cinq ans Place Beauvau. Il sait aussi utiliser les médias pour redorer le blason de la police, qui en a bien besoin, la pauvrette, en organisant « une opération par jour pour sécuriser les gens » et en transformant son ministère en « ministère de l’Actualité ».

 

Il fait adopter aussi beaucoup de mesures pratiques en faveur des pandores : augmentation du budget de la police de 5, 83 % dès la première année, embauche de 13 000 flics supplémentaires en 5 ans, accélération de la réparation du parc automobile, généralisation des flash-balls, adoption de tenues plus « confortables » pour les gardiens de la paix.

 

Son arrivisme lui a valu de se fâcher avec pas mal de chiraquiens (dont Fillon, Michèle Alliot-Marie et Juppé) mais le moins qu’on puisse dire est que sa rancune n’a pas duré longtemps vu les places qu’il leur a accordées dans son premier gouvernement. Son passage au ministère de l’Economie et des Finances l’a amené à au moins deux reprises à se départir de son image de « libéral » cent pour cent. Quand il est intervenu pour contrer l’OPA de Sanofi Synthélabo contre le groupe franco-allemand Aventis ; et quand il a « lutté » contre la reprise d’Alstom par un groupe allemand et fait le siège de Mario Monti, commissaire européen. A force de harcèlement et de manipulations médiatiques, il a contribué à recapitaliser Alstom.... quitte à en céder une partie dans trois ans à des groupes privés ; déjà à l’époque il s’était rendu à Alstom-Belfort et La Rochelle pour voir les salariés. Même si Chevènement s’attribue le mérite d’avoir prévenu Sarko, c’est ce dernier qui en a tiré tout le bénéfice politique. Lorsque Sarkozy déclare : « ce n’est pas un droit pour l’Etat d’aider ces grandes industries c’est un devoir », même si ces mesures sont de la poudre aux yeux, il fait croire aux travailleurs que l’Etat « protecteur » dont se réclame tant le PS dans son matériel électoral, jouera son rôle. Et surtout il montre qu’il est loin d’être un « néolibéral » pur jus. Ce qui n’empêche pas bien sûr qu’il soit un ennemi des travailleurs.

 

L’ascension politique de Sarkozy a finalement été assez lente. Il a mis 9 ans pour devenir maire, 14 ans pour devenir député, 19 ans pour devenir ministre et 33 pour devenir président de la République. Quand il vante le « travail », il sait de quoi il parle, du moins si l’on élargit le sens de ce mot au « travail » d’ascension politique.

 

Sarkozy a transformé l’UMP en une machine à son service, une machine au fonctionnement bonapartiste (tout comme celui de la Cinquième République), puisque c’est le Petit Nicolas qui a décidé de faire élire le candidat à la présidentielle par les adhérents du parti.

 

On découvre dans ces deux livres que M. le (futur) Président de République a toujours eu un grand sens de la prédestination : « Je n’ai pas envie d’être Président. Je dois être Président. Ce n’est pas la même chose. » « J’irai jusqu’au bout, je veux réformer la France, je dois le faire, mais il faut que vous sachiez que cela me coûte. » On n’est pas loin du Christ se rendant au Golgotha pour sauver l’Humanité. On est en plein dans la mythologie de l’homme providentiel, qui a une mission sur terre, et pas loin du général de Gaulle qui s’identifiait à la France. Seule différence : Sarko est plus terre à terre et réaliste et se donne dix ans puisqu’il est hostile à plus de deux quinquennats... en principe. Selon Attali : « Sarkozy n’est pas atlantiste. Il n’est pas un libéral, il n’est pas un idéologue mais un pragmatique. Il fait partie de la génération, droite et gauche confondues, qui a une vision un peu courte sur le monde. »

 

A la limite, peu importe que ce soit vrai, ce qui compte c’est ce que les travailleurs qui ont voté pour lui ou lui font encore confiance ont perçu au moment de voter voire perçoivent aujourd’hui.

Catherine Nay considère que Sarkozy va mettre en place un « bonapartisme libéral ». Il est sans doute un peu tôt pour en décider. Ce qui est sûr c’est qu’il défendra au pouvoir les valeurs traditionnelles de la droite (et de la gauche) républicaine : « travail, mérite, discipline, équité, famille ». Quant au « goût de l’autorité, au culte pour le volontarisme et à la personnalisation » ils ont caractérisé aussi bien Sarkozy que Royal mais apparemment un des deux candidats de la bourgeoisie s’est montré plus convainquant que l’autre, en 2007.
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