Une arme de destruction massive

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Le rythme accéléré et superficiel de l’omniprésent président empêche les « Grands Experts » de réfléchir. Surtout depuis que le mode de diffusion de ses faits, gestes et paroles est adapté à speedy Sarkozy. Merci Dailymotion !

Comme l’ont brillamment noté les socio-experts Jost et Muzet dans leur non-livre Le Téléprésident, « dans une société médiatique, la communication passe désormais moins par des mots que par des images » (p.27). Tout comme à l’heure d’Internet, le web a pris une importance considérable. Soit.

 

La prolifération des chaînes de télé, des sites d’infos et des blogs, la cadence frénétique d’un Président sur lequel le monde médiatique cale son pas (et son portefeuille) ont une conséquence évidente : notre actualité ressemble de plus en plus à une succession de vignettes chocs et rapides, de « séquences » courtes selon la terminologie des Grands Experts, rythmées par les annonces fracassantes de Sarkozy et du monde tel qu’il va vite. L’homme fait fi des roulements de tambours et, au sein de la rhétorique hitchcockienne du suspense et de la surprise, a choisi la seconde.

Sarko pose des bombes partout où il passe, résultat, les observateurs n’ont pas le temps de réfléchir

Sarkozy pose des bombes, partout où il passe, mais sans prévenir. Inédit, insolite, violent, souvent suicidaire et parfois sympathique. Moralité, pas le temps de saliver une rumeur, d’attendre une décision que l’on croit mûrie ou d’éprouver du désir, ça explose en continu et sans prévenir, comme une réaction en chaîne qui ne connaîtrait pas le répit. Du port de Guilvinec au salon des vaches, du Crif à une conférence de presse, ça pétarade sec, le Puys du Fou 24h sur 24.

 

Sarkozy ? Une sorte de super artificier entouré d’une bande de pompiers toujours à cours d’eau. À droite, on tente de colmater les brèches, on se concentre sur les bouts de gâteau qui restent entre les assiettes cassées ; à gauche, on bénit chaque jour ce veau d’or providentiel, cet épouvantail commode grâce auquel on peut enfin et à peu de frais, recréer un semblant de collectif.

Avec Dailymotion, la « story » sarkozienne a trouvé son expression idéale

Quel rapport avec Dailymotion, cette « arme de destruction hâtive » promise par le titre de cet article et qui tarde à venir ? Le voici : la vitesse d’enchaînement des évènements, l’aspect discontinu et presque illisible du récit présidentiel – la « story » selon la terminologie opiniâtre des mêmes experts mous sus cités –, sa volonté de faire vrai (« je ne vais pas vous mentir » constitue l’une de ses entrées en matières fétiches) a trouvé avec Dailymotion sa forme idéale. Soit un patchwork ininterrompu et hétéroclite de petites bandes multi-thématiques, où se côtoient bourdes d’hommes politiques, remakes cheap de clip musicaux, facéties de kakous avinés désireux d’épater leurs potes, extraits d’émissions de télé, strip-teases sur fond d’étagères Ikea, nouvelles stars en herbe, plantades en skate-board, gogos tektoniks, etc…

 

Désormais, on ne regarde plus le film mais ses chutes, plus le monde, mais son bêtisier. À Hollywood, on a compris le message – Redacted de Brian de Palma, Diary of the Dead, le prochain George Romero, Rec, sont tous des films qui ont intégré cette nouvelle donne : l’heure est à « l’effet de vérité », au style improvisé, au filmage amateur digne des vidéos de Dailymotion et de YouTube, même si faire pauvre peut coûter cher (voir le récent et très bon Cloverfield).

 

Atomisant d’un clic la frontière entre le public et l’intime, entre la confidence et le discours, Dailymotion, dont la fréquentation en France écrase tranquillement celle de la presse et bientôt de la télé, ne se contente plus de retraiter sur un mode mineur et potache le contenu des médias institutionnels mais commence, l’air de rien, à le dicter, transformant politiques, journalistes et autres commentateurs, en sémiologues naïfs d’haïkus vidéo. Naïfs parce qu’ils croient ce qu’ils voient, naïfs parce qu’aucun d’eux n’est à l’abri d’un vidéaste entarteur, naïfs parce qu’ils substituent à la nécessité d’une réflexion sur les conditions de possibilité d’une image (quid du hors champ ? Du filmeur ? De ce qui s’est passé avant ou après ?), le réflexe pavlovien d’une réaction à chaud et sérieusement grotesque.

« Voici venu le temps des traptapes, “vidéos pièges” »

Dans le brouhaha général n’émergent donc plus que des gaffes, des bévues, des bourdes, des faux pas, repris et diffusés partout en boucle. Avec Dailymotion, le débat politique se métamorphose peu à peu en vidéo-gag politique. Nul doute qu’après le happy slapping, mode qui consistait à gifler en meute un quidam pris au hasard et à filmer l’agression avec un téléphone portable, la déferlante des sextapes de vedettes au point mort, voici venu le temps des traptapes, « vidéos pièges » dont David Martinon, Jean-Marie Cavada et Nicolas Sarkozy (champion toute catégories et star du web), ont récemment fait les frais. Salutaire et/ou pervers. « Notre travail c’est de convaincre les vieux » (Martinon), le « pauvre con » de Sarkozy et le silence emmitouflé d’un Cavada assoupi sont déjà des classiques – soit dit en passant, la riposte injurieuse de Sarkozy évoque le coup de boule de Zidane, aussi bien dans l’avalanche de bafouilles moralisatrices que dans le sentiment d’un écart monstre entre la fonction (le président / le capitaine) et le comportement. À ceci près que tout le monde vénérait Zidane (saurons-nous lui pardonner ?) et que tout le monde, ou presque, déteste Sarkozy (saurons-nous le lyncher ?)

In fine, pour apporter votre pierre au Grand Débat, il vous faut un piégeur, un complice et un dindon…

Pour qui veut s’amuser dans la cour de récré et apporter sa pierre au Grand Débat, la méthode est donc simple. Il faut un piégeur, un complice et un dindon. Choisissez une réunion publique d’un candidat que vous ne souffrez guère (si vous l’appréciez, ça fonctionne aussi). Munissez-vous d’une petite caméra dv, assurez-vous de la présence d’un acolyte (autant bétonner le hasard) qui aura potassé un sujet sensible (la Shoah, la laïcité, l’intégrisme, les taxis, Jérôme Kerviel ou le leadership du PS) et introduisez-vous au milieu de l’assemblée. En guettant le moment où le candidat a commencé à ne plus réagir aux complaintes les plus délirantes de ses administrés (être élu, c’est aussi savoir fermer sa gueule), allumez votre caméra. Faites alors un signe discret à votre partenaire qui se lance aussitôt dans une diatribe farfelue. Filmez, rentrez chez vous et mettez illico sur Dailymotion la vidéo en question. Surprise, surprise : le tour est joué.

Cependant, comme chacun le constate fréquemment, Daylimotion censure beaucoup de vidéo sur Sarkozy;
il paraît donc important de rappeler qu’en Juillet dernier le responsable des contenus du plus gros site français de vidéos en ligne a rejoint l’équipe de François Fillon. Et qu’il a ensuite été remplacé par un ancien collaborateur de Renaud Donnedieu de Vabres alors Ministre de la Culture Voir : http://tinyurl.com/32e78l

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