Pouvoir d’achat: le sondage, une fabrique de désinformation ?

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Charriots à perte de vue (Eyes'Pix/Flickr).

Voici un chiffre, commenté en première page du site MonSondage.com, qui montre comment, à partir d’un sondage -en soi pas plus contestable qu’un autre-, on fabrique une information complètement déformée, en la trimballant de commentateur en commentateur. Un bel exemple de téléphone arabe dans les sondages.

Sur MonSondage.com, dimanche dernier, je lis en gros titre en page d’accueil: "52% des Français font plus confiance à leur entreprise qu’à l’Etat pour régler la crise du pouvoir d’achat."

Puis l’accroche de l'article:

"La figure de l’entreprise, l’esprit 'corporate', semblent remplacer le pouvoir d’attraction et de dévotion de la République. En effet, selon une étude LH2 du 9 juin 2008, 52% des sondés (contre 42%) considèrent que leur entreprise d’accueil est plus à même de regonfler leur pouvoir d’achat que l’intervention publique."

Bigre, ma petite boîte à moi plus forte que Sarko, Lagarde et tout le gouvernement réuni! Tous (enfin 52% d’entre nous) derrière le patronat! Enfin le jour que même le Medef n’attendait plus: la France, la vraie, celle du petit peuple et pas celle des médias, devient libérale.

Je regarde la formulation de la question, donnée sur le graphique de MonSondage:

"Le plus efficace pour le pouvoir d’achat, c’est:
-une action des pouvoirs publics?
-une meilleure santé des entreprises?"

Oubliés chômeurs et inactifs qui ont aussi besoin d’un peu de pouvoir d’achat

Première puce à l’oreille: pourquoi opposer l’une et l’autre réponse? Après tout, on peut imaginer qu’une action des pouvoirs publics permette une meilleure santé des entreprises, non? N’est-ce pas, parmi d’autres, une des missions desdits pouvoirs publics?

Deuxième puce, une petite déformation, a priori anodine mais tout de même: les sondés ne parlent pas de leur entreprise, mais des entreprises en général, semble-t-il.

Pour en avoir le cœur net, je vais voir le sondage d’origine sur le site de LH2. Et là, surprise: "les Français" interrogés ne sont pas tous les Français, mais seulement les salariés français.

Ce n’est déjà plus la même chose (faites-moi penser à vous parler des populations sous-jacentes et des bases d’échantillon un de ces jours, quand je vous aurai parlé du vote de paille). Oubliés donc, les chômeurs, les inactifs, bref tous ces gens qui ne sont pas salariés mais ont aussi besoin d’un petit peu de pouvoir d’achat.

Ensuite et surtout, la question réellement posée était très différente. Voyez plutôt:

"Selon vous, des deux solutions suivantes, sur laquelle comptez-vous le plus pour une augmentation du pouvoir d’achat?
-une action des pouvoirs publics sur les salaires.
-une meilleure santé des entreprises qui pourrait déboucher sur des augmentations de salaire."

En fait "d’attraction et de dévotion de la République" (comme dit MonSondage avec une ironie qui leur donne sans doute le sentiment d’être plus malin que le citoyen moyen), LH2 a juste parlé d’une action de l’Etat qui porterait sur les salaires. Moi, on me poserait cette question, j’imaginerais qu’on oppose l’intervention autoritaire de l’Etat, un peu comme la fixation du prix de la baguette ou du paquet de clopes, à la liberté pour les entreprises d’augmenter les salaires si elles sont en mesure de le faire.

La simplification déformante de l’information chez l’institut de sondage

Et enfin, la question "sur laquelle des deux solutions comptez-vous le plus?" est ambiguë: elle peut éventuellement aussi s’interpréter comme ce à quoi les sondés croient le plus, en termes de vraisemblance ou de réalisme, plutôt que ce à quoi ils sont personnellement le plus favorables.

Ouf, la République n’est pas encore complètement à terre. Mais le soviétisme n’est pas encore à nos portes non plus. Finalement, ça me va bien.

Ceci dit, loin de moi l’idée de charger les seuls commentateurs du site MonSondage. La simplification déformante de l’information commence chez l’institut de sondage lui-même, dès la page de synthèse qui figure au début du rapport du sondage, et continue dans l’annonce qui en est faite sur la page d’accueil de LH2. MonSondage n’a plus eu qu’à simplifier encore un peu plus.

Moralité, qui vaut à la fois pour les journalistes, les sondeurs et les sondophages: avant de colporter un chiffre, n’oubliez jamais de vous demander: "Au fait, c’était quoi la question? Et qui y a répondu?"

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S
A cette question, à ton avis qu'aurai-je répondu?
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A
Ben mince alors, je viens de faire un recueil d'infos sur la désinformation. Comme quoi, nous sommes en phase aussi.
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