HAÏTI un pays otage de la terreur

Publié le par LV

Un an après l’élection présidentielle, et malgré la présence de l’ONU, le pays le plus pauvre de la région s’enfonce chaque jour davantage dans le chaos

A Port au Prince, les ravisseurs sont venus chercher Petit-Frère Désilus en début d’après-midi, alors qu’il quittait son bureau en voiture. La rue était animée et il n’était qu’à quelques mètres du bureau bien gardé où il travaille à la facturation. “Ils m’ont eu quand même”, se souvient M. Désilus. Quand il raconte la scène, sa voix et ses mains tremblent encore. Deux hommes jeunes, aux visages durs et déterminés, ont pointé leur arme sur lui. Quand il s’est retourné, il a vu quatre autres types qui le tenaient en joue. Les gens qui passaient par là se sont contentés de faire un détour. “Allonge-toi et ferme-la, lui ont-ils ordonné. Aujourd’hui, c’est ton tour.” Plaqué sur la banquette arrière, M. Désilus a vu son calvaire commencer.

Ce genre d’épreuve est devenu monnaie courante dans la capitale haïtienne. L’élection présidentielle avait suscité beaucoup d’espoirs, mais, un an plus tard, Port-au-Prince est une ville où règne la terreur. Malgré la présence de milliers de soldats de l’ONU et une nouvelle offensive militaire destinée à éradiquer les gangs, les bandes armées continuent de faire la loi dans les collines de la capitale, où la plupart des 2 millions d’habitants vivent dans des taudis faits de bric et de broc. La recrudescence des enlèvements fait régner un climat de terreur et effraie les investisseurs étrangers.

En décembre 2006, après l’enlèvement d’écoliers et une prise d’otages dans un car scolaire, des dizaines d’écoles ont été fermées. Ce mois-là, au moins 100 personnes ont été enlevées, un record depuis août 2006, quand 115 personnes avaient été kidnappées. Selon les associations de défense des victimes, ce chiffre pourrait être bien plus élevé car, une fois libérés, les gens n’osent pas aller porter plainte. Le gouvernement haïtien est incapable d’enrayer cette crise. D’après les experts internationaux, le chaos et la corruption qui règnent au sein des forces de police et des instances judiciaires sont les principaux obstacles à la paix civile. Cette épidémie d’enlèvements – qui a commencé en 2004, après le renversement du président Jean-Bertrand Aristide, et a culminé ces six derniers mois – est l’une des nombreuses tragédies qui émaillent l’histoire de cet Etat instable, devenu le pays le plus pauvre du continent américain.

Après l’élection, en février 2006, du président René Préval, un agronome modéré, qui avait déjà été président de 1996 à 2001 et qui a promis la réconciliation aux quelque cent partis politiques, les Haïtiens avaient repris espoir. Malheureusement, la criminalité a augmenté sous son mandat et ce sont les plus modestes qui paient le plus lourd tribut à la délinquance. Ils n’ont pas les moyens de payer les rançons ni de s’offrir les gardes du corps ou les véhicules blindés qui protègent les moindres mouvements de l’élite haïtienne coupée du monde.

Originaire des bidonvilles, M. Désilus, 42 ans, s’en était sorti et avait trouvé un emploi décent. Il avait même réussi à devenir propriétaire d’un petit studio où il vivait avec sa femme et trois de ses six enfants. Ses ravisseurs l’ont emmené à Cité Soleil, un bidonville où vivent plus de 200 000 personnes soumises à la loi des gangs. Ils l’ont enfermé dans un appartement équipé de barreaux aux fenêtres, transformé en cellule de fortune. Il y a été battu et humilié. Ensuite, selon le mode opératoire habituel, les ravisseurs ont appelé toutes les personnes du répertoire de son téléphone portable et ont menacé de tuer M. Désilus si elles ne payaient pas les 100 000 dollars de rançon, équivalant à vingt ans de salaire pour M. Désilus. Le lendemain, ils s’étaient mis d’accord pour 4 800 dollars et l’ont libéré. Traumatisé, il a demandé à son patron s’il pouvait lui trouver un autre poste où il aurait moins à se déplacer. Son patron l’a renvoyé. Peu après, les amis et les collègues de M. Désilus, qui avaient payé sa rançon, ont commencé à lui réclamer leur argent. Il a dû vendre son appartement, mais aussi un petit lopin de terre qu’il possédait à la campagne. Il a fini par vider son compte en banque. Sans logement, il a été contraint d’aller vivre avec sa femme et ses enfants chez un cousin, et a dû retirer de l’école quatre de ses enfants car les écoles publiques sont payantes à Haïti. M. Désilus a absolument tenu à ce que justice lui soit rendue. Il a donc essayé à plusieurs reprises de s’adresser à la police. Mais les policiers ont refusé d’enregistrer sa plainte.

En 2006, pour éviter les soldats de l’ONU, les ravisseurs ont commencé à étendre leur terrain de chasse à l’ensemble de la ville, alors qu’ils se cantonnaient jusque-là aux quartiers pauvres. Désormais, les jeunes gens et les cadres quittent en masse le pays. Selon certaines estimations, plus de 50 000 personnes ont quitté Haïti ces dernières années. Mais, pour certaines victimes, quitter le pays n’est même pas envisageable. Emmanuel Poncet, professeur de mathématiques à Port-au-Prince, a passé les cinq mois qui ont suivi son enlèvement à essayer d’obtenir un visa pour les Etats-Unis. C’est son frère – un prêtre catholique – et un groupe d’amis qui ont réuni près de 14 000 dollars pour sa libération. Une semaine après sa libération, il recevait un coup de fil d’un autre groupe de ravisseurs. Ils détenaient son beau-frère en otage. Et ils voulaient de l’argent.

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
O
Pauvre pays pauvre, à qui profite ces régimes politiques ? Devinez un peu !!!
Répondre
L
Surtout dans ces republiques bananieres, des  afriques miniatures Ariel.
Répondre
A
Même après le dictateur Duvallier avec ses tontons macoute ça n'arrête pas. Difficile de faire et conserver une démocratie, c'est tellement fragile.
Répondre