Démonstration d’irresponsabilité de Sarkozy

Publié le par LV

vendredi, 6 avril 2007 / Aloys Evina

 

Ce sont deux simples phrases, passées inaperçues dans l’emballement de fin de campagne. Deux phrases prononcées la semaine dernière, à Nice, dans un meeting, par Nicolas Sarkozy. Poursuivant son long monologue sur l’immigration et l’identité nationale et développant, Côte d’Azur oblige, les sous-chapitres colonisation et repentance, le candidat a dit : « Je suis de ceux qui pensent que la France n’a pas à rougir de son histoire. Elle n’a pas commis de génocide. Elle n’a pas inventé la solution finale. Elle a inventé les droits de l’homme, et elle est le pays du monde qui s’est le plus battu pour la liberté. » On n’en a pas vu d’images à la télévision, on a seulement lu la citation sur quelques blogs, mais on imagine volontiers Sarkozy prononçant ces phrases. L’air dégagé, observant un silence entre génocide et solution finale pour prolonger son effet, le faire durer en bouche, solliciter l’approbation du public, habité, propulsé par le simple bon sens, ce rappel au simple bon sens, aux choses qu’on a tout de même le droit de dire, n’est-ce pas, parce que si on n’a plus le droit de rappeler des faits élémentaires, de simples faits, alors à quoi bon voter ? Ce n’est tout de même pas la France qui a inventé le génocide et la solution finale. C’est-à-dire : tiens, l’Allemagne, tenez, les Allemands, tiens Angela Merkel, vous n’avez rien demandé, vous ne vous êtes mêlés de rien pendant cette campagne, mais attrapez-la dans les gencives, la solution finale !

Ces phrases ne sont pas seulement insultantes pour les Allemands d’aujourd’hui, et ceux d’hier, qui ont accompli un travail de mémoire tel qu’aucun autre peuple n’en a accompli. Elles sont surtout irresponsables. Sarkozy aspire à devenir Président. Et la parole du Président, c’est la parole de la France. La parole de la France à l’Allemagne, entre 2007 et 2012, consistera-t-elle à renvoyer le partenaire historique à Auschwitz ? Comment imaginer qu’un incendiaire ayant en tête ce genre de réminiscences puisse aller négocier avec la chancelière allemande, sans tabous ni arrière-pensées, avec la sérénité qui sied à deux partenaires quotidiens, par exemple sur la répartition des suppressions de postes à Airbus ?

Mais la question, dans le cadre de cette chronique, est surtout de savoir pourquoi aucun journal, aucune chaîne de télévision n’a fait écho à cette démonstration d’irresponsabilité de Sarkozy, alors que le piégeage de Ségolène Royal par un humoriste, à propos de la souveraineté québécoise, avait eu droit à de longs développements voici quelques semaines. Pourquoi faut-il que ce soient quelques blogs isolés, avec leurs quelques milliers de lecteurs, qui accomplissent ce travail-là ?

Sans doute y a-t-il plusieurs raisons. Sans doute, Sarkozy étant présumé compétent à l’international, et Royal incapable, les oreilles du système n’ont-elles simplement pas « entendu » l’agression antiallemande de Nice. Mais ce n’est pas tout. L’emballement de fin de campagne ne pousse pas à faire le détail. « Ignoble ! Menteur ! Amie des fraudeurs et des tricheurs ! » : le colonnage quotidien ne suffit déjà pas à accueillir les noms d’oiseau que se balancent les candidats dans la dernière ligne droite. Si les médias devaient reprendre tous les dérapages démagogiques, ils ne feraient plus que ça. Et pas seulement chez Sarkozy. Tous (grands) candidats confondus, quel carton ! En miettes, en confiture, pulvérisés, l’euro, les radars, et le taux d’alcoolémie autorisé aux conducteurs (Le Pen), l’ENA, les indemnités de chômage des députés (Bayrou), les banques et leurs frais (Royal) : c’est le champ de ruines, l’hécatombe. A lire le reportage d’Edouard Launet, cette semaine dans Libé (3 avril), qui a passé quarante-huit heures à suivre Sarkozy, de Lille au pied des glaciers alpins, on mesurait bien cet épuisement général de fin de campagne. Epuisement du candidat, débitant les mêmes phrases d’un bout à l’autre du pays, en pilotage automatique. Epuisement des journalistes suiveurs, qui ne peuvent mitrailler leurs rédactions de dépêches à chaque nouveau dérapage. Manifestement, les médias ne sont pas calibrés pour traiter une surenchère quotidienne de démagogie sur longue période.

D’autant que Sarkozy « crée » toujours une nouvelle actualité. Même les projecteurs des traqueurs de dérapages sarkozyens ne parviennent plus à suivre. Braqués sur l’immigration, sur les sans-papiers, sur l’insécurité, les voilà soudain pris à contre-pied par une offensive inattendue sur le terrain de la génétique. A peine fallait-il s’offusquer du dérapage allemand que, toujours créatif, le candidat inventait le gène de la pédophilie et du suicide : « J’inclinerais, pour ma part, à penser qu’on naît pédophile […]. Il y a mille deux cents ou mille trois cents jeunes qui se suicident en France chaque année, ce n’est pas parce que leurs parents s’en sont mal occupés ! Mais parce que, génétiquement, ils avaient une fragilité, une douleur préalable » (entretien avec Michel Onfray, pour Philosophie Magazine ). Là non plus, aucune reprise plusieurs jours durant, à l’exception d’une tribune du généticien Axel Kahn dans l’hebdomadaire Marianne. Voilà pourquoi, victime de cette rude concurrence, la relation franco-allemande, cette vieille lanterne, si éloignée des préoccupations quotidiennes des gens, comme disent les sondeurs, avait toutes les chances de passer à la trappe.

 

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I
Il ferait mieux de ne faire que ce qu'il sait faire !
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