Comment expliquer l'ascension de François Bayrou ?

Publié le par LV

Alors qu'il faisait il y a seulement deux mois figure d'outsider, le candidat centriste talonne aujourd'hui Ségolène Royal dans les sondages. Quelles sont les raisons de ce retournement de situation ? Anthony Bellanger, chef des informations à Courrier international, répond aux questions des internautes

Bibi Cette ascension fulgurante est-elle bien due aux idées et au programme de François Bayrou ? Ne s'agit-il pas plutôt d'un effet de contestation qui risque de retomber ?
Anthony Bellanger Vous avez raison, ce n'est probablement pas le programme de Bayrou qui justifie sa montée mais son positionnement politique, à savoir ni droite ni gauche, le ninisme pour les commentateurs. Quant à savoir si le soufflé va retomber, bien malin qui pourrait le dire. Aujourd'hui, de nombreux observateurs estiment que Bayrou à 20 % est son étiage maximum, mais 20 % est l'étiage maximum de tout le monde si lui, Le Pen, Ségolène Royal et Sarkozy sont à 20 %.

igor Une question m'étonne à chaque fois : les journalistes s'acharnent à demander à Bayrou qui il va soutenir au second tour. Or je n'ai entendu personne poser cette question à Sarkozy, Royal ou Le Pen. Comment expliquer cette différence de traitement ?
A.B. Tout simplement parce que Le Pen ne sera jamais élu et que Royal et Sarkozy n'ont besoin (a priori) de personne pour gouverner, leurs parti respectifs sont suffisamment "forts" pour remporter une élection sans "aide". A l'inverse, Bayrou dispose en ce moment d'une vingtaine de députés, tous élus grâce à l'UMP, et, la dernière fois qu'il a été testé électoralement dans les conditions de ce scrutin, en 2002, il avait obtenu 6,8 % des voix… Enfin, l'histoire de l'UDF jusqu'à présent est une histoire faite d'alliances successives.

Boudiou La tentation du "tout sauf Sarko" ne risque-t-elle pas de pousser les électeurs de gauche à voter Bayrou dès le premier tour, si les sondages indiquent que Royal n'a aucune chance ?
A.B. C'est effectivement le calcul d'une partie de la gauche et, étrangement, de l'extrême gauche. C'est ce qu'on appelle le vote stratégique. C'est-à-dire voter moins en fonction de ses convictions que pour faire battre le "pire des deux", en l'occurrence Sarkozy. Beaucoup de ceux qui votent "intelligemment" de cette façon scrutent les sondages histoire de savoir quel est le "vrai" vote utile au premier tour pour battre Sarkozy. Comme ils ne se sentent de toute façon pas représentés par les "grands candidats", ils ne voient pas d'inconvénients à donner leur voix à Bayrou plutôt qu'à Royal, pourvu que Sarkozy soit battu au second tour… Inutile de préciser qu'il y a plein de paradoxes dans ce calcul.

Sepp Bayrou explique que le compromis, le consensus entre gauche et droite, est la solution pour résoudre les difficultés, les problèmes du pays. Ce choix (pour certains un non-choix) n'est-il pas voué à l'échec en raison des personnalités politiques actuelles et surtout du poids des grands partis en France ?
A. B. Bayrou ne parle pas de consensus, il évoque un programme qui tiendrait à la fois de la préoccupation solidaire (de gauche) et de la libéralisation de l'économie (de droite) et demande à tous ceux qui se reconnaissent dans ces axiomes de le rejoindre. S'ils sont de gauche, tant mieux, mais s'ils sont de droite, ils sont aussi les bienvenus. Sa posture est au fond très gaullienne : ralliez-vous, au-dessus les partis, à mon panache blanc. C'est un autre paradoxe de cette élection : l'héritier du gaullisme est fortement lié à un parti (l'UMP) alors que l'héritier (autoproclamé) du mendésisme et du delorisme se situe au-dessus des partis, dans une posture très gaullienne.

Cristia Reig Le candidat Bayrou est-il antijacobin ? Poursuivra-t-il la décentralisation et plaidera-t-il pour le développement des langues régionales ?
A.B. On n'en sait rien ! On sait simplement qu'il parle à ses chiens en béarnais (ce qui signifie qu'il parle le béarnais) et qu'il est attaché à son identité régionale. Cela dit, sa posture gaullienne en fait un digne héritier du jacobinisme et du dogme républicain centralisé mais il est aussi issu d'un parti surtout implanté en province et donc il pourrait tout aussi bien défendre des positions girondines, donc chasser une fois de plus sur les terres de Ségolène Royal.

Sepp Pensez-vous qu'il y a des similitudes, des ressemblances entre les campagnes présidentielles de François Mitterrand (1981) et de Jacques Chirac (1995) et celle de François Bayrou ?
A. B. Je vois surtout des ressemblances (pour ce qui concerne Bayrou) avec 1958 et 1981… Je m'explique. Dans les deux cas, le président de la République élu ne disposait pas, avant l'élection, d'une majorité au Parlement… C'est une fois élus et après en avoir appelé au peuple que les deux présidents en question – de Gaulle et Mitterrand – ont obtenu la majorité nécessaire pour gouverner. C'est toute la force de la candidature Bayrou : s'il était élu, il lui suffirait de demander une majorité aux électeurs, un mois plus tard, et je pronostique qu'il l'obtiendrait (en détruisant au passage l'UMP et le PS). Autrement dit, lorsque l'UMP et le PS lui font un procès en ingouvernabilité, ils se trompent de république, de peuple et même d'institutions... La logique de la Ve République donne une sorte d'assomption populaire au président élu qui, dans la dynamique, obtient une majorité.

Jehanne Comment expliquer l'apparent soutien des enseignants à Bayrou malgré la "discrétion" du souvenir laissé par son passage à ce ministère ?
A. B. Il y a deux réponses à votre question : les enseignants sont des Français comme les autres… En clair, ils doutent, évaluent, réfléchissent et ne votent pas socialiste comme un seul homme. Ségolène Royal ne les convainc pas forcément, et François Bayrou n'est pas non plus un repoussoir… De plus, les profs appartiennent à l'une des catégories d'électeurs les plus sensibles aux arguments (classe moyenne intellectuelle) des uns et des autres. Enfin François Bayrou n'a effectivement pas laissé de souvenirs mémorables au ministère de l'Education… Eh bien, justement, les profs en ont peut-être assez de ces ministres successifs qui, la fleur au fusil, n'ont cessé de multiplier les réformes. Je pense évidemment à M. Allègre… Enfin, dans le genre ministre qui a administré sans réformer, Jack Lang se pose là lui aussi !

Philippe (aide-soignant) Bonjour M. Bayrou. Pour faire face à la rareté des logements (sociaux ou autres) et les prix prohibitifs et donc résoudre la crise de l'immobilier, êtes-vous prêt à réquisitionner les 2 millions de logements vacants (appartenant à des compagnies d'assurances ou à des banques d'après les dires d'Olivier Besancenot). Merci de votre réponse.
A.B. Je ne suis pas François Bayrou ! Quant au logement, je ne suis pas sûr que M. Bayrou ait l'intention de réquisitionner quoi que ce soit... Ce n'est pas le genre de la maison.

Oli de Montréal Pensez-vous qu'une majorité de la classe politique française soit prête à soutenir un gouvernement de coalition, comme celui d'Angela Merkel en Allemagne, ou est-ce que l'immobilisme promis par certains est inéluctable ?
A. B. Bien sûr que non : les partis politiques sont organisés en France (à cause du scrutin majoritaire à deux tours) pour remporter des victoires écrasantes à eux seuls. Ils ne savent même pas prononcer le mot "coalition" et encore moins le mot "grande coalition". C'est, pensent-ils, la logique de nos institutions qui veut ça... Autrement dit, pour changer la donne, il faut effectivement passer au-dessus d'eux, comme essaie de la faire Bayrou. Y parviendra-t-il ? C'est toute la question... Il faut tout de même préciser que cette tradition politique française (qui n'a pas plus de cinquante ans d'ailleurs) est largement soutenue au sein de la population. En clair, l'argument "Avec Bayrou, c'est la IVe qui revient" trouve encore un écho – de plus en plus faible – dans l'électorat.

Mia Pensez-vous que l'ascension de Bayrou s'explique par le projet de ce dernier de passer à une VIe République ? La rénovation des institutions n'est-elle pas au fond l'un des axes majeurs du projet de Bayrou ?
A. B. Tous les candidats (à l'exception notable de Sarkozy, qui veut renforcer le présidentialisme et dont la "grande" réforme consisterait à autoriser le président à entrer au Parlement) veulent réformer les institutions de la Ve République. Il faut dire que, vue de l'étranger, notre démocratie est un peu étrange puisqu'elle se résume à une seule élection : celle du président.

 

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M
Bayrou a un côté très seducteur et n'est pas dépourvu d'intelligence ; mais là où il est passé, qu'a t il construit ? Très habile pour se faufiler dans les "manques" des autres il aura beaucoup de mal à proposer une dynamique solide et cohérente...
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A
Bayrou est à bout se souffle il est en perte dans les sondages.
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G
sa montée est due au ras le bol droite gauche incapable d'innover
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Z
Bayrout a atteind sa cote maximum, il ne peut que redescendre maintenant à 3 semaines du premier tour. Le troisième homme risque bien d'être le même qu'en 2002.
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F
bravo pour votre blog<br /> <br /> <br /> <br /> <br />
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